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La respiration en médecine intégrative NEW

LA RESPIRATION EN MEDECINE INTEGRATIVE


  • Introduction

    La respiration, essentiellement automatique et inconsciente, est aussi la seule fonction physiologique vitale que l’on peut contrôler volontairement. En faire l’expérience consciente est une approche intégrative de la santé dans toutes ses dimensions spatio-temporelles : psycho-corporelle, multi-culturelle, ancienne et moderne.


     La respiration, dont dépend notre vie, est tout à la fois rythmique, cyclique et variable, automatique et volontaire, consciente et inconsciente, corporelle, émotionnelle, cognitive et spirituelle. La respiration est la seule fonction physiologique vitale que l’on peut contrôler volontairement, modifiant dans certaines limites son automatisme.


    C’est pourquoi, me semble-t-il, la respiration dans ses déclinaisons consciente et volontaire s’est imposée comme cruciale dans les approches thérapeutiques psychocorporelles, et comprendre les comportements respiratoires s’avère incontournable dans le cadre d’une approche intégrative de la santé. « La vie d’un homme n’est que du souffle qui se rassemble » aurait dit Lao Tseu. Essayons ainsi de rassembler les différentes vues modernes et anciennes sur la respiration.


     

  • Neurophysiologie de l’activité cyclique respiratoire

    L’automatisme ventilatoire est commandé par les centres bulbopontiques et destiné à ajuster la ventilation pour assurer l’hématose : maintien des pressions artérielles partielles en CO2 et O2. C’est le contrôle métabolique de la respiration. Par ailleurs, la respiration est sous l’influence de structures supra-pontiques, corticales et limbiques, à l’origine des modifications respiratoires d’ordre émotionnel, d’ordre volontaire lors d’actions motrices, et enfin pour assurer des fonctions non ventilatoires, comme l’olfaction et la phonation. C’est le contrôle comportemental de la respiration. Ce contrôle nerveux central, bulbaire et supra-bulbaire, est à l’origine d’une régulation dite « Top-Down » (de haut en bas) du système respiratoire.


    On sait maintenant que les éléments essentiels du générateur central de la ventilation sont localisés au niveau du bulbe rachidien, dans sa partie rostro-ventro-latérale, et cette commande automatique bulbaire est de nature inconsciente. La rythmogénèse automatique de la respiration dépend de 2 types de générateurs neuronaux distincts : inspiratoire le complexe pré-Bötzinger (PréBötC) et expiratoire le noyau parafacial/rétrotrapézoïde. Ils sont composés de neurones à activité dite « pace-maker » à dépolarisation spontanée (comme les cellules du nœud sinusal responsables de la rythmogénèse cardiaque) et sont connectés aux neurones crâniens des muscles des voies aériennes et aux neurones bulbospinaux destinés aux muscles respiratoires effecteurs. Le complexe neuronal PréBötC, est nécessaire et suffisant pour déclencher l’inspiration. Il est composé d’environ 300 neurones (chez le rat) glutamatergiques et exprimant le récepteur à la neurokine -1 dont le ligand est la substance P. Ces neurones PréBötC expriment aussi des récepteurs opioïdes mu responsables de la dépression inspiratoire induite par les opioïdes. Le complexe neuronal : noyau rétrotrapézoïde (RTN)/groupe respiratoire parafacial (pFRG) possède deux fonctions critiques : la génération d’une expiration active et la chémosensibilité centrale. Il est composé de neurones exprimant Phox2b, non actifs rythmiquement, mais sensibles au CO2 et générant une expiration active et pouvant moduler le rythme respiratoire. Ces neurones sont appelés pré-inspiratoires pour leur tendance à s’activer avant la décharge inspiratoire. Ces neurones sont insensibles à l’action des opïoides. Les complexes PréBötC et RTN/pFRG semblent se comporter comme deux oscillateurs couplés. Ils donnent naissance à la voie bulbo-spinale, destinée aux motoneurones respiratoires.



    Le contrôle volontaire de la respiration dépend de l’activité d’un large réseau neuronal cortico-sous-cortical comprenant, en particulier, le cortex moteur primaire bilatéral, le cortex prémoteur, l’aire motrice supplémentaire, le cortex cingulaire antérieur, et le cortex insulaire. De ce point de vue, la respiration volontaire présente une certaine analogie avec le contrôle moteur des membres et les structures impliquées dans le contrôle volontaire respiratoire sont les mêmes structures impliquées dans les apprentissages moteurs. Ces réseaux neuronaux donnent naissance à la voie corticospinale, destinée également aux motoneurones respiratoires. 


    La commande corticale de la respiration n’est cependant pas forcément volontaire, ni consciente. La commande corticale peut être activée en conditions expérimentales par l’inhalation de CO2 ou une surcharge inspiratoire. Il existe une certaine indépendance entre commande volontaire (voie cortico-spinale) et commande automatique (voie bulbo-spinale) révélée par les travaux sur le syndrome d’Ondine ou syndrome d’hypoventilation congénitale central. Ce syndrome est dû à une modification du gène codant pour Phox2b et à l’origine d’un défaut de la commande automatique centrale de la respiration, ce qui nécessite une ventilation mécanique lors du sommeil alors que la commande corticale reste efficace en période d’éveil. 


    Chez ces patients, le contrôle cortical de la ventilation s’avère coûteux sur le plan cognitif à l’origine, à la fois, de déficits attentionnels fréquents et de périodes d’apnée lors de tâches cognitives difficiles. Nous préservons, ainsi, certaines de nos ressources cognitives à ne pas penser à respirer… et notre automatisme respiratoire bulbaire est donc bienvenu! Ces études suggèrent, en outre, la possibilité d’automatisation par apprentissage de modes respiratoires, dont la commande serait corticale. On peut penser que certains experts, comme les yogis experts, ont déjà réussi, à force d’apprentissage, à automatiser certains comportements respiratoires acquis volontairement.


    Pour permettre le maintien de l’homéostasie, la respiration doit s’adapter à de multiples contraintes, en particulier métaboliques et mécaniques. C’est la régulation dite « Bottom-Up » (de bas en haut) du système respiratoire qui s’exerce depuis la périphérie sur les noyaux respiratoire du bulbe rachidien. Les informations afférentes proviennent principalement des chémorécepteurs centraux et périphériques et des mécanorécepteurs. L’élimination de CO2 est l’une des priorités des vertébrés respirant de l’air. L’hypercapnie induit donc de façon linéaire une augmentation de la ventilation et cette réponse est due à prés de 80 % aux chémorécepteurs centraux au CO2, et à la chémosensibilté propre des neurones du complexe PréBötC. 


    La commande ventilatoire dépend aussi de l’influence d’afférences mécaniques par le biais de mécanorécepteurs situés d’une part sur les structures bronchiques et le parenchyme pulmonaire et d’autre part sur les muscles respiratoires. Les mécanorécepteurs des voies aériennnes sont des tensiorécepteurs sensibles à la distension, et des nocicepteurs sensibles à l’irritation bronchique. 


    Les mécanorécepteurs musculaires ont un rôle proprioceptif et les afférences proprioceptives se projettent se projettent sur le cortex somato-sensoriel primaire, et informent sur les forces générées par les déplacements de la cage thoracique. En outre, des afférences proprioceptives provenant de l’appareil locomoteur jouent un rôle dans la posture, la verticalité de l’homme en particulier, et l’adaptation de la ventilation à l’exercice physique.

  • Le diaphragme et les muscles effecteurs de la commande ventilatoire

    La commande motrice est transmise au motoneurones crâniens pour les muscles des voies aériennes supérieures, et aux motoneurones spinaux pour les autres muscles respiratoires. Dans le cas du diaphragme, le nerf phrénique nait de la réunion de plusieurs racines cervicales dont la plus constante est C4. Les muscles respiratoires ne se résument pas aux muscles de la paroi thoracique, puisqu’ils comprennent aussi les muscles des voies aériennes supérieures et les muscles abdominaux. 


    La commande ventilatoire est transmise d’abord aux muscles dilatateurs des voies aériennes, muscles à effet de flux régulant les flux entrant et sortant d’air, puis aux muscles thoraciques, muscles à effet de pompe générant ces flux d’air. Il existe une distribution temporelle précise de la commande ventilatoire permettant leur coordination motrice. Ces muscles ont la caractéristique vitale d’avoir une contraction phasique ininterrompue au cours de la vie, en dehors des périodes pathologiques où le sujet est soumis à une ventilation mécanique.


    Le diaphragme est le muscle inspiratoire principal. Le muscle diaphragmatique permet de hauts niveaux de ventilation de base, facteur crucial pour le développement cérébral consommant d’importantes quantités d’oxygène et peu tolérant à l’anoxie, et supporte les augmentations élevées de ventilation nécessaires aux augmentations du métabolisme.


    Le diaphragme est une cloison fibromusculaire à deux coupoles positionné entre le thorax et la cavité abdominale et formé de nombreux muscles digastriques qui s’entrecroisent autour du centre tendineux phrénique lui même traversé par les vaisseaux, nerfs et œsophage. Ces muscles digastriques irradient soit vers les corps vertébraux des vertèbres lombaires (diaphragme crural) soit vers la face interne des six dernières côtes. Les muscles intercostaux externes, d’innervation thoraciques métamériques, et les muscles cervicaux : scalènes et sternocléidomastoïdiens innervés respectivement par C4 et une branche spinale du XI participent à l’inspiration. 


    Les muscles intercostaux internes et les muscles abdominaux (transverse, petit oblique, grand oblique, grand droit) peuvent être engagés dans une expiration active. Le diaphragme participe aussi à des fonctions non ventilatoires : phonation, chant, musique intrumentale à vent, mais aussi toux, défécation, en contraction coordonnée avec les muscles abdominaux. En outre, il joue également un rôle postural important, en coordination avec les cruraux, psoas, abdominaux et lombaires. 


    La ventilation spontanée influence le centre de gravité du corps en position verticale en modifiant le volume thoracique et le système de contrôle postural s’adapte de façon active au schéma respiratoire de manière à ce que la respiration crée le moins de balancement postural possible. Cette interaction est appelée la synchronisation posturo-respiratoire. Une rééducation diaphragmatique par des exercices respiratoires se développent pour les patients lombalgiques chroniques.

  • Rythmes et variabilités de la respiration

    La description du comportement respiratoire utilise de façon classique des grandeurs exprimées sous forme de moyennes : volume courant, fréquence ventilatoire, temps inspiratoire, temps expiratoire, ventilation minute ... mêlant volumes et temps. D’un point de vue temporel, l’acte moteur de la ventilation survient en trois phases séquentielles : l’inspiration, la phase post-inspiratoire d’apnée télé-inspiratoire et l’expiration. La phase post-inspiratoire est associée à un frein initial du débit expiratoire par adduction glottique et une activité antagoniste des muscles inspiratoires. 


    Ensuite, survient l’expiration proprement dite, passive ce qui est une caractéristique de l’homme. Il existe, sur le plan physiologique, une grande variabilité de la ventilation cycle à cycle, de connaissance récente. Tobin et al. ont pu montrer que, chez un sujet sain au repos, le coefficient de variation du temps inspiratoire de 25±10 %, ce qui témoigne d’une large liberté d’adaptation. La variabilité respiratoire résulte des interactions complexes entre le générateur central, les afférences, et la commande corticale. Tout en produisant un rythme qui ne s’arrête jamais, le générateur central doit l’ajuster au cours du temps selon les conditions de vie de l’individu. Il s’agit donc d’un système dynamique, ou cybernétique asservi. 


    La variabilité totale du système respiratoire se compose des variations liées au hazard, et, de façon prédominante, des variations non liées au hasard, survenant en réponse à des besoins d’adaptation et qui fluctuent périodiquement (oscillations). La variabilité autorégulée traduit l’adaptabilité du système respiratoire et la variabilité liée au hasard traduit la sensibilité du système respiratoire. La variabilité respiratoire signe probablement une « personnalité respiratoire » selon chaque individu, et interagit avec les rythmes cardiovasculaires. Les deux rythmes vitaux sont le rythme cardiaque et le rythme respiratoire, et il faut garder à l’esprit que la différence essentielle entre ces deux rythmes est que l’on peut modifier volontairement le rythme respiratoire, mais non le rythme cardiaque. Le couplage entre la fréquence cardiaque et la respiration a une longue histoire. Une des expressions de ce couplage la plus connue est l’arythmie sinusale respiratoire (ARS). On décrit, schématiquement, que la fréquence cardiaque s’accélère à l’inspiration par inhibition du tonus parasympathique, et ralentit à l’expiration par restauration du tonus parasympathique. Divers mécanismes neurologiques centraux et périphériques impliquant le système nerveux autonome et le baroréflexe contribuent à l’arythmie sinusale respiratoire. 


    L’ampleur des oscillations de la fréquence cardiaque est amplifiée par une respiration lente et profonde, ce qu’on appelle cohérence cardiaque et qui existe chez tout individu. Une méta-analyse de Gevirtz en 2013 est en faveur de l’efficacité du biofeedback de l’ARS dans un grand nombre d’applications : pathologies respiratoires (asthme, bronchopathies obstructives), pathologies cardiovasculaires (HTA, insuffisance coronaire), pathologies douloureuses (fibromyalgies, lombalgies) et troubles anxiodépressifs. Les pratiques du Yoga et du Qi Gong sont proposées également à titre thérapeutique chez ces patients avec des bénéfices significatifs selon les dernières méta-analyses d’« evidence-based-medicine » en médecine complémentaire. Certaines expériences sensorielles (et émotionnelles) à valence positive telles que la musique peuvent modifier les variations cardiorespiratoires, comme en témoigne, par différentes études, le travail de Luciano Bernardi et al. L’écoute musicale de crescendos lents résulte en un ralentissement de la fréquence respiratoire et une transitoire augmentation de l’amplitude des variations de la fréquence respiratoire oscillant en phase avec le tempo musical. Les fluctuations du système cardiovasculaire sont également en phase avec le tempo musical et des phrases musicales spécifiques au rythme de 6/min existant dans les arias de Verdi peuvent synchroniser les rythmes cardiovasculaires. D’autres pratiques peuvent induire cette modulation rythmique et cette synchronisation, en particulier les prières ou les récitations poétiques. 


    Les récitations du rosaire (ave maria en latin) ou du mantra tibétain « om-mani-padme-om », chacune de ces prières durant 10 sec et se répétant donc au rythme de 6/min, ralentissent la fréquence respiratoire au rythme de 6/min (du fait de l’exercice phonatoire durant 10 sec), et augmentent la variabilité de la fréquence cardiaque oscillant en phase avec la respiration. Les caractéristiques similaires du rosaire et du mantra ne sont pas une coïncidence, puisque le rosaire est d’origine indo-tibétaine, rapporté au décours des croisades


    Le soupir est un comportement respiratoire particulier longtemps lié aux émotions dans la culture populaire, et notre langage l’associe au plaisir et au soulagement ou à l’ennui et à l’angoisse. Il s’exprime par une soudaine et longue inspiration de plus de 2 fois le volume courant suivie d’une longue expiration plus ou moins sonore. Selon Vlemincx et al. le soupir sert de mécanisme de réajustement d’équilibre entre la variabilité liée au hasard et la variabilité régulée du système respiratoire, en d’autres termes le soupir permet de restaurer la régulation optimale du système respiratoire. 


    Avant un soupir prédomine une variabilité respiratoire liée au hasard, après un soupir une variabilité régulée. L’origine du soupir est probablement bulbaire et son apparition et sa fréquence sont modulées par des afférences périphériques, d’ordre métabolique : augmentation en cas d’hypoxie hypocapnique, et d’ordre mécanique : induction en cas d’atélectasie pulmonaire et baisse de la compliance pulmonaire. En retour, le soupir améliore les échanges gazeux et la compliance pulmonaire, et prévient l’apparition d’atélectasie, ce qui a amené à introduire des soupirs dans les modes de ventilation mécanique assistée en réanimation. De plus, le soupir semble servir de mécanisme de réajustement psychologique, indiquant que le soupir n’est pas tant l’expression du soulagement que l’inducteur du soulagement. L’augmentation de la fréquence des soupirs est observée dans les états émotionnels négatifs comme la douleur, les pensées négatives, les taches mentales difficiles, et les états anxieux et de stress pathologique. Dans ces cas, le soupir est suivi d’un soulagement, en partie due à l’augmentation du tonus vagal, et le soupir serait ainsi un mode de « coping » (ou adaptation) en réponse au stress.

  • La respiration et les fonctions non ventilatoires

    La respiration a des fonctions non ventilatoires comme l’olfaction et la phonation. Leur mise en route correspond plus à des programmes automatiques qu’à des commandes volontaires directes. L’olfaction, sensorialité dépendant de l’inspiration, a été beaucoup moins étudiée que d’autres de nos sens, comme la vue et l’ouïe. Il est difficile de dénommer les odeurs dans nos sociétés dites modernes : notre lexique ne comprend pas de mots spécifiques pour les odeurs et on s’en réfère le plus souvent à l’objet d’origine de l’odeur : odeur de pomme ... ceci n’est pas vrai pour d’autres populations étudiées, vivant par exemple en Amazonie, en Polynésie ou Indonésie dans des milieux naturels très riches et éventuellement hostiles et pour qui leur gamme lexical est riche en mots spécifiques abstraits dénommant les odeurs, et nécessaires pour transmettre les informations de danger ou de nourriture, par exemple. Il est aussi difficile pour la population générale d’imaginer les odeurs. Certains scientifiques affirmaient jusqu’à récemment que l’imagerie mentale des odeurs était impossible, cependant certains individus ont acquis cette capacité, comme en témoigne l’expérience des « Nez » dans le domaine des parfums, ou les œnologues dans le domaine des vins. Il faut remarquer qu’en Occident, l’odorat a fait l’objet de condamnations multiples des moralistes et que, donc, son éducation a été négligée. Nietzsche a su reconnaitre l’importance de l’odorat comme sens d’investigation psychologique et morale. L’importance de l’odorat a été revalorisée récemment grâce aux travaux sur l’olfaction de Buck et Axel, tous deux prix de Nobel de physiologie et de médecine en 2004.


    Le processus olfactif présente une structure temporospatiale unique. L’olfaction a une résolution temporelle beaucoup plus lente que la vision ou l’audition. Contrairement à la vision et l’audition, l’olfaction co-opte un organe qui est le nez et qui est aussi voué à d’autres fonctions. Le nez est un organe étonnant : il possède en effet des qualités remarquables de conditionnement d’air avec humidification et réchauffement puisqu’un air à température jusqu’à -10 °C peut être ramené à 36 °C par le passage dans les narines, et chargé d’humidité à plus de 90 %. La muqueuse nasale dispose d'un réseau vasculonerveux très riche avec des capacités considérables de congestion. Les muqueuses des cornets gonflent alternativement d'un côté puis de l'autre toutes les 1 à 5 heures en moyenne : ce « cycle nasal », constaté chez 80 % de la population adulte, favoriserait un champ perceptif plus large d'odeurs par une double perception périphérique : « the world smells different to each nostril ». Cette chronobiologie nasale particulière est exercée lors de l’apprentissage volontaire de la respiration nasale alternante au Yoga. L’olfaction est distincte des autres sensorialités, car il n’existe pas de relais thalamique, donc pas de filtre pour les informations olfactives et le traitement d’une expérience olfactive est hautement associatif, profondément liée à l’émotion et inscrite dans la mémoire. Ainsi, les molécules odorantes sont transportées jusqu’à l’épithélium olfactif, à travers la barrière muqueuse, pour se fixer aux récepteurs olfactifs, dont on compte 500 à 1000 récepteurs différents présents sur 40 millions de neurones situés sur l’épithélium olfactif chez l’homme. Les informations sont transmises au bulbe olfactif par les nerfs olfactifs, puis projetées directement sur des structures du système limbique comme l’amygdale (lieu des émotions), l’hippocampe (lieu de la mémoire autobiographique) et le cortex orbitofrontal, cortex secondaire associatif. La plupart des souvenirs évoqués par les odeurs sont liés à des évènements survenus dans la première décade de la vie et ces souvenirs sont plus chargés d’émotions que des souvenirs induits par des images ou des sons. De Salvador Dali de déclarer : « qui sait déguster ne boit plus jamais de vin, mais goûte des secrets ». Sentir, c’est être vivant et chaque inspiration, à la fois temps et espace de l’olfaction, active l’expérience émotionnelle et la mémoire autobiographique. La respiration, une nouvelle fois par l’olfaction, joue un rôle majeur dans le domaine des émotions. L’amygdale transmet au cortex olfactif associatif l’information de valence aversive et la perception du danger dépend largement de l’olfaction chez l’animal, mais aussi chez l’homme. L’olfaction modifie en contrepartie la respiration, une odeur désagréable étant à l’origine d’une respiration rapide et superficielle, une odeur agréable induit une respiration lente et profonde. Le reniflement est un comportement olfactif très utilisé chez l’animal composé de la succession d’inspirations rapides et rythmées et correspond à un échantillonnage olfactif de l’environnement extérieur, de manière à déterminer rapidement dangers, sources d’alimentation et différences sexuelles. Baudelaire illustre à merveille la richesse de l’expérience olfactive, dans le Spleen de Paris (« Un hémisphère dans une chevelure » ! ...) : ... « Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air ! ... »


    Une des fonctions les plus importantes de l’olfaction est la sélection des aliments. L’olfaction est une sensorialité synergique avec le goût et une expérience gustative est d’emblée synesthésique : mêlant obligatoirement olfaction. Le goût d’un aliment comprenant l’arôme alimentaire qui résulte d’une olfaction rétronasale est pour 80 % de l’olfaction et la discrimination gustative reste pauvre sans l’arôme, limité à cinq tonalités de goût : sucré, salé, amer, acide et umami (goût mi-sucré, mi-salé, provenant du glutamate présent dans les viandes, poissons et certains légumes dont le soja). Cependant, le goût s’exprime pleinement dans l’espace par l’arôme de la rétro-olfaction nasale et dans le temps en un continuum gustatif. La madeleine de Marcel Proust est l’expression narrative de la richessse synesthésique de l’olfaction et du goût.


    « ... Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi ... »


    Sur le plan thérapeutique, se développent l’olfactothérapie et l’aromathérapie, à visée anxiolytique, en particulier en soins chroniques : dialyse, soins palliatifs, en soins aigus : en anesthésie-réanimation, en pré-opératoire et en réanimation ; en neurorééducation chez les sujets âgés et les altérations mentales, comme la maladie de Parkinson et les démences, dont la maladie d’Alzheimer, où l’on constate un déficit très précoce de l’olfaction, jouant un rôle majeur dans l’anxiété, les difficultés de communication et l’isolement social de ces patients. L’olfaction fait partie des bénéfices secondaires majeurs obtenus chez les patients tétraplégiques, chez qui on implante un stimulateur phrénique pour permettre une autonomie ventilatoire, tant et si bien que l’amélioration de la qualité de vie de ces patients apportée par la stimulation phrénique est en grande partie due à la restauration de l’olfaction par retour à la ventilation par voie nasale. Enfin, le reniflement fait partie des comportements moteurs, longtemps préservés chez l’homme en pathologie neurologique grave, et peut être facilement appareillé par un transducteur de pression nasale. Ainsi, l’équipe de Noam Sobel a développé un dispositif de mesure des pressions nasales, permettant aux reniflements de commander l’écriture de textes en sélectionnant lettres et mots par interface informatique. Des patients atteints de « locked-in syndrome » ou de quadriplégies ont pu faire l’apprentissage rapide de cette commande intelligente pour communiquer avec leur entourage et ce, de façon plus rapide et moins fatigante que la commande intégrant les mouvements oculaires décrite par Dominique Bauby dans son livre Le scaphandre et le papillon. Encouragés par ces premiers résultats, cette équipe a poursuivi son travail en proposant à des patients quadriplégiques de commander leurs fauteuils roulants par le reniflement. Ainsi, des patients plégiques sévères peuvent communiquer et bouger en reniflant.


    La phonation, essentielle au langage, s’opère sur l’expiration, et ainsi « l’expiration perd sa qualité de vent (ou flux d’air sortant) pour prendre sa qualité de son ». Les durées des phases respiratoires se modifient au cours de la phonation : inspiration rapide (par la bouche plus que par le nez) et expiration active beaucoup plus longue. Les volumes d’air mobilisés sont plus importants jusqu’à 1-2 litres en phonation parlée, voire 3-4 litres en phonation chantée, et ainsi, l’expiration en phonation est un exercice musculaire actif mettant en jeu les muscles expiratoires abdominaux et intercostaux internes. La respiration phonatoire est certes volontaire, mais pas toujours consciente. Les mécanismes neurologiques centraux impliquent les régions corticales sensori-motrices du diaphragme et du thorax ainsi que celles du larynx pour la phonation, mais aussi les régions corticales de l’audition. En effet, une stimulation auditive existe lors de la phonation alors qu’une expiration simple, même volontaire, est peu sonore.


    Une synchronisation respiratoire, en phase ou en décalage de phase, des chanteurs d’une chorale est décrite lors des chants à l’unisson ou en canon, phénomène impliqué dans la forte cohésion sociale, la forte charge émotionnelle artistique et l’empathie rapportées lors du chant en chorale. La musicothérapie introduit de plus en plus les exercices chantés, en particulier en neurorééducation motrice du langage, mais aussi en rééducation respiratoire de patients plégiques hauts.




    " L’homme a la capacité de prendre conscience


    de sa respiration à tout moment. "


  • Entéroception respiratoire : les bases neurales de la respiration consciente et ses liens avec les émotions

    La respiration est au croisement de l’entéroception (innervation sensitive viscérale) et de l’extéroception : sensorialité tournée vers des stimuli extérieurs et médiée par la vue, l’audition, l’olfaction (permise par l’inspiration), le goût (permis par la rétro-olfaction) et le toucher. L’action de respirer génère un intense trafic d’informations sensorielles à partir des mécanorécepteurs de la cage thoracique, des muscles respiratoires, des structures bronchoplumonaires et des voies aériennes supérieures. Le cortex humain reçoit des afférences en provenance de tous les niveaux du système respiratoire, avec une représentation somatoesthésique pariétale, cingulaire et insulaire. Des afférences vagales d’origine pulmonaire jouent également un rôle dans les sensations respiratoires. La respiration contribue également à la conscience de soi, en particulier de son image corporelle propre.


    La respiration est à mi-chemin entre conscience et inconscience. La plupart du temps, l’ensemble des afférences sensorielles d’origine respiratoire est normalement soumis à un barrage empêchant son accès à la conscience. Il suffit pourtant de changements mineurs de l’environnement, d’ordre corporel ou émotionnel pour rendre une expérience respiratoire consciente. En outre, la respiration peut être contrôlée de façon volontaire dans un certain nombre de comportements tels que l’exercice sportif ou le langage. Dans ce dernier cas, la respiration est étroitement liée à la communication interhumaine.


    L’homme a la capacité de prendre conscience de sa respiration à tout moment. Ce type de régulation « bottom-up » est essentielle à l’homéostasie, et lorsque l’information sensorielle est suffisamment saillante, elle peut passer la barrière de manière à alerter d’une modification respiratoire et de la nécessité d’une adaptation : c’est le cas de la dyspnée qui est met en alerte pour un certain nombre de pathologies cardiaques ou respiratoires. En outre, certains états anxieux, les syndromes d’hyperventilation et les accès de panique pourraient résulter d’une dysfonction du système entéroceptif respiratoire.


    La respiration reflète les émotions. Elle devient rapide et profonde dans certains états d’excitation comme la colère, rapide et superficielle dans les états anxieux et de panique. Elle peut devenir lente et profonde dans les états de détente. Une pause respiratoire peut survenir dans certains états de surprise ou d’émerveillement. Plus de quatorze états émotionnels sont caractérisés par un schéma respiratoire particulier qui diffère par la fréquence, la profondeur et la courbe respiratoire : excitation, relaxation, attention, douleur, soulagement, ennui, colère, peur, panique, dégoût, surprise, émerveillement, tristesse et joie. 


    Dans l’expérience émotionnelle de peur, la composante respiratoire est centrale à la fois en tant qu’expression motrice respiratoire et en tant que ressenti (à type de dyspnée). Cette expérience subjective de peur n’est probablement complète que si l’expression motrice respiratoire y est inscrite, en rappel à l’expression motrice faciale selon le « FACS » (facial action Coding System de Paul Ekman dans certaines expériences émotionnelles de base comme tristesse, colère et joie.) Dans le système de codification somatosensorielle universelle des émotions de base décrit par Nummenmaa et al. en 2013, la cage thoracique et son contenu (poumons-cœur) sont fortement ressentis dans différentes émotions négatives, mais aussi positives. Un nouveau système de codification totocorporelle des émotions est également en cours d’établissement, qui intègre le comportement respiratoire comme signal émotionnel.


    Des anomalies respiratoires, en particulier l’hyperventilation et la polypnée, sont associées depuis longtemps, sur le plan clinique, aux états anxieux, et aux attaques de paniques. L’équipe d’Homma I. et al. a pu montrer que, lors d’une stimulation anxiogène, la polypnée survient précocement, en même temps que l’activation de l’amygdale, et que la polypnée pourrait participer à l’accentuation de l’expérience subjective d’anxiété. 


    La polypnée est enregistrée avant même le ressenti anxieux, à la phase anticipée de situations anxiogènes, et l’observation d’un sujet, à qui l’on a demandé de bloquer sa respiration, provoque chez les observateurs une polypnée accompagnée d’inconfort respiratoire et d’anxiété, suggérant que la respiration avec ce comportement en miroir pouvait participer aux mécanismes d’empathie. Le travail remarquable de cette équipe japonaise a été complété par l’étude du comportement respiratoire, avec imagerie cérébrale fonctionnelle, de l’acteur principal du théâtre Nôh, en particulier lors des scènes dramatiques. 


    L’acteur de Nôh ne doit pas s’exprimer, ni par les mots, ni par les expressions faciales, son visage étant masqué, et il traduit (et transmet) les tonalités émotionnelles par les modifications de son comportement respiratoire, et ce dernier est reproduit en miroir par les observateurs, experts de cette forme théâtrale particulière, eux-mêmes émus. Enfin, différentes études expérimentales indiquent que, ralentir la fréquence respiratoire au cours de l’état anxieux induit une réduction de l’anxiété ressentie, avec baisse de l’activation de l’amygdale. L’ensemble de ces résultats supportent scientifiquement le rôle bénéfique des techniques du contrôle volontaire de la respiration, dans le sens d’une respiration lente et profonde. De nombreuses pratiques psychocorporelles traditionnelles anciennes : Yoga, Qi Gong, pratiques méditatives, et d’autres plus récentes (le pacing respiratoire, la sophrologie, le biofeedback respiratoire, le « rebirth », toutes incorporant le contrôle volontaire lent de la respiration) sont actuellement proposées dans la gestion et le contrôle des émotions, dans la gestion du stress, et dans le traitement des états anxieux.


    La dyspnée est un des symptômes les plus courants avec la douleur dans la population générale, résultant en un réel problème de santé publique, mais la dyspnée reste moins bien comprise que la douleur, et les possibilités thérapeutiques très limitées. La société savante thoracique américaine définit la dyspnée comme une expérience subjective d’inconfort respiratoire ou gêne respiratoire qui consiste en différentes sensations qualitatives qui varient en intensité. Un certain nombre d’études rapportent le bénéfice de programme thérapeutique psychocoroporel par l’hypnose, la méditation pleine conscience et le Yoga chez des sujets asthmatiques ou bronchopathes chroniques obstructifs. Ces traitements non pharmacologiques agissent à la fois sur la dimension affective de la dyspnée en réduisant sa valence négative, sur la dimension sensitive en réduisant son intensité et sur la composante cognitive par diversion attentionnelle.


    La respiration est, une nouvelle fois, au cœur des émotions, lorsque des artistes apprennent à l’adapter à leur art. Les musiciens, chanteurs, danseurs ont besoin, comme les sportifs, de connaître les possibilités de leur respiration, de prendre conscience de leur corps parcouru par le souffle ou « respiration prenant corps » et de les adapter à leur art. Les instrumentistes à vent et les chanteurs savent la dépendance respiratoire de l’émission du son, nécessité intégrée à leur art en tant que rythme, émotion et communication.


     

    La respiration en danse occidentale est reconnue comme essentielle, mais diversement utilisée en pédagogie de la danse. Selon Yvonne Paire, la technique de danse employée induit une certaine façon de respirer : « La danse classique, symbole de l’élévation, induit plus une dominante inspiratoire … La danse contemporaine, teintée de « release technique » induit une danse plus expiratoire, près du sol. ». La pédagogie théâtrale contemporaine introduit également un apprentissage respiratoire pour la présence au corps, le contrôle de l’anxiété, les postures, la traduction des émotions par le corps et la voix. La respiration est le mode d’expression artistique du théâtre Nôh. Cette attention pour la respiration s’exprime aussi dans différents arts traditionnels japonais, comme le Kôdô ou l’art de la création olfactive japonaise, ce que souligne Chantal Jaquet dans son livre sur la philosophie de l’odorat. La cérémonie japonaise du Kôdô est une pratique ancestrale au cours de laquelle les participants « écoutent » les subtiles différences d'odeur de bois précieux. 


    Largement inspirée de la philosophie Zen, la pratique de cet Art des Odeurs permet à chaque individu de mieux prendre conscience de lui-même et de trouver son chemin (dô) par les senteurs (kô), et qui est donc d’« Ecouter l’odeur ».

  • Expériences respiratoires extrêmes

    Deux formes de pratiques respiratoires avec entrainement répété représentent des expériences respiratoires extrêmes, l’une est sportive et occidentale, l’autre est méditative et tibétaine. De façon évidente, elles se rejoignent. 


    Du côté des apnéistes : il existe une grande variation inter-individuelle et intra-individuelle des durées d’apnée, souvent rapportées entre 1 à 2 minutes pour des sujets non entrainés. L’entrainement répété permet d’augmenter ce temps d’apnée. Stéphane Mifsud est depuis 2009 le recordman du monde d’apnée statique qui est de 11 minutes et 35 secondes. On ne sait pas encore comment le contrôle volontaire cortical de la respiration peut inhiber, pendant la durée d’apnée, la commande motrice issue de la rythmogénèse bulbaire automatique, le rôle du diaphragme semble y jouer essentiel. L’entrainement des sportifs apnéistes de haut niveau est à la fois physique et mental : Stéphane Mifsud rapporte l’intégration à sa pratique physique, d’exercices de méditation, d’imagerie mentale et d’auto-hypnose. 


    Du côté des méditants (« g-tummo ») : la pratique méditative Toumo destinée au contrôle de sa « chaleur intérieure » est une pratique spirituelle sacrée de tradition indo-tibétaine qui pourrait s’appeler « thermogénèse psychocorporelle ». Cette pratique méditative associe une composante somatique de techniques respiratoires spécialisées avec des exercices de contractions musculaires isométriques (en conditions statiques) et une composante neurocognitive d’imagerie mentale de flammes dans certaines parties du corps et de suggestions de sensations de chaleur intense autour de l’axe spinal. Une étude récente par Kozhevnikov et al. montre que la température périphérique au niveau des doigts de la main augmente de près de 7 °C sur une période de 15 secondes avec une élévation significative de près de 2 °C de la température corporelle centrale.

  • Respiration et traditions spirituelles

    Un certain nombre de traditions ethniques mettent en avant la respiration comme moyen de communication sociale interpersonnelle : certains anciens se saluent en synchronisant leurs respiration en tradition hawaïenne, on ne peut comprendre l’autre que si l’on ressent sa respiration en tradition iranienne, une cohésion inter-féminine est entrainée lors des chants diphoniques en tradition inuit ... Dans le chamanisme, le chant est un réservoir de mots magiques indissociable du souffle, et, selon les paroles d’un chamane de Sibérie : « ces invocations chantées sont mes longues respirations, je chante et j’invoque comme je commande mon souffle ... »


    Le souffle se retrouve dans de nombreuses traditions religieuses : chez les Grecs la psyché est un souffle, en rapport avec la fragilité de l’homme. Le Qi, dans la tradition taoïste chinoise est le souffle à l’origine de l’univers. Chez les soufis, le souffle est un joyau à saisir. Dans la tradition hébraïque, le souffle est don de vie. On peut retrouver des notions communes qui sont : tout l’univers respire, l’homme est respiration, le corps et l’esprit sont comme des souffles. L'Avesta est l'ensemble des textes sacrés de la religion mazdéenneiranienne du prophète Zarathoustra. Les techniques de respirations conscientes et volontaires sont très développées par la tradition mazdéenne et traduites sous le titre de « l’art de respirer selon l’Avesta ». 


    Dans la tradition musulmane, « ruh » est le souffle de vie insufflé par Dieu à Adam, et en arabe, « ruh » (l’esprit) est proche de « rih » (le vent), et « nafs » (l’âme) est proche de « nafas » (la respiration). Dans le soufisme, la respiration joue un rôle primordial dans la pratique spirituelle et le fondement cosmologique. Dans les prières, la durée de chaque vers poétique est « mesuré par le souffle qui permet de le prononcer » et la parole humaine est une expiration divine. Le Yoga est une pratique gymnique méditative ancienne d’origine indienne, de double inspiration hindouiste et bouddhiste, qui part du principe que le psychisme participe au somatique. Ainsi plusieurs exercices respiratoires (Pranayamas) sont proposés pour rééquilibrer Prana. 


    « Prana » a plusieurs sens : souffle, énergie subtile, inspiration, et le « Pranayama » c’est la maitrise du souffle, qui commence par prendre conscience du mouvement de l'Expir, de l'Inspir et de la Suspension, et se poursuit jusqu’à l’état de méditation ou « Samadhi ». Le Qi Gong est une pratique gymnique méditative de tradition chinoise, de double inspiration religieuse bouddhiste et taoïste, et comporte un entrainement approfondi de la respiration, en particulier la respiration volontaire lente et profonde. 


    Le Zhing Zi, livre classique taoïste ancien, développe une méthode d’exercices respiratoires appelée « écouter sa respiration », avec différentes étapes successives : concentrer sa pensée sur la respiration, écouter la respiration avec le cœur, se confondre avec le Qi ou souffle ou énergie, atteindre le calme intérieur, où tout n’est que Qi. Le christianisme orthodoxe, d’inspiration orientale, développe, dans l'hésychasme, la prière du cœur, au rythme de la respiration considérée en tant que souffle. Le souffle de Dieu qui souffle dans le souffle de l’homme à chaque inspir lui insuffle la vie. Le pneuma est ainsi l’Esprit de Dieu respiré par l’homme. Le judaïsme a développé des méthodes méditatives centrées sur la respiration, en particulier dans la tradition judaïque de la Kabbale psycho-corporelle. 


    Les exercices consistent en une focalisation de l’attention sur une respiration souple, ample et profonde, avec des rythmes bien précis, des accélérations, une gestuelle liée à certaines expirations. Dans le Zohar, « rouah » signifiant esprit puis parole, est, tout à la fois, « vent, air, souffle, respiration, esprit », « nechama », dimension intellectuelle de l’âme, vient de la racine nacham qui veut dire « respirer ».


    Depuis plusieurs siècles et en de nombreuses contrées, on perçoit la richesse spirituelle de la respiration en tant que souffle, et la respiration est, chaque fois, l’école de la prière et cette prière s’élève grâce à l’olfaction de l’encens.


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  • Dans ma pratique

    Dans ma pratique de médecin anesthésiste-réanimateur intégrant l’hypnose à titre d’anxiolyse, de sédation et d’analgésie, ainsi que la méditation pleine conscience à titre de gestion du stress en pratique professionnelle, la respiration, la mienne et celles des autres, est au centre de mes intérêts d’individu, de médecin et de scientifique. À titre personnel, comme chacun, je m’oublie souvent et pourtant respirant encore, s’émouvant, sentant, goûtant, bougeant, méditant. À titre professionnel, comme chaque médecin anesthésiste-réanimateur, je manipule pharmacologiquement et techniquement chaque jour la respiration automatique et volontaire des patients. Je revisite, avec l’équipe infirmière anesthésiste de l’hôpital Bicêtre, la respiration de l’autre, à visée d’anxiolyse, au bloc opératoire, pour les patients à la phase de préoxygénation précédant l’induction anesthésique et pour les patients bénéficiant d’une craniotomie à l’état éveillé sous hypnose : nous pratiquons ainsi des exercices respiratoires lents et profonds pour synchroniser les rythmes cardiorespiratoires, jouant sur les soupirs et, dans certains cas, s’aidant d’une musique comprenant des crescendos lents. Nous avançons aussi sur la piste des odeurs agréables et rassurantes ... pour mieux respirer ensemble.


     


    Exercice respiratoire :



    Au gré de la lecture, dans la position où vous êtes, prêtez attention à votre respiration telle qu’elle est maintenant … sans la modifier, n’ayant rien d’autre à faire qu’à vous sentir respirer librement … : accordez-vous ce temps de l’inspir … appréciez cette courte pause après l’inspir … accordez-vous ce temps de l’expir, en retour, jusqu’au bout de l’expir … appréciez cette courte pause, après l’expir, préparant l’élan d’une nouvelle inspir … et par ces temps se succédant sans effort ressenti, laissez faire simplement … ;


    Laissez faire cette alternance inspir-expir, qui se répète et s’adapte et chaque fois se renouvelle, égale et différente … ;


    Ressentez également dans votre cage thoracique les battements du coeur qui ralentissent en approfondissant l’expir jusqu’à l’aube de l’inspir …


    Laissez la force du souffle mobiliser tout votre corps : le thorax et le ventre d’abord, le bassin, les épaules et les membres aussi ; appréciez les mouvements de vos lombes, de votre dos et de votre cou aussi, ressentez les oscillations de votre colonne à chaque respiration, vous élevant à l’inspir et vous ancrant au sol à l’expir ; appréciez votre équilibre dans cette position discrètement mobile et laissez-vous un instant comme bercé(e) par votre souffle … ;


    Ressentez maintenant le souffle entrant et sortant par le nez, flux d’air un peu plus fort dans une narine selon l’autre, et appréciez ce frottement de l’air aux abords du visage dont on peut écouter les sons légers de forge qui siffle … ;


    Percevez aussi ce réchauffement de l’air qu’on expire … et ressentez maintenant les odeurs que vous recueillez à chaque fois que vous inspirez … ;


    Laissez-vous souffler … et laissez-vous souffler profondément, inspirant puis expirant dans toute sa plénitude … et par cette mobilisation du corps d’un souffle fort renouvelé, appréciez l’apaisement qui s’allie au soupir … 


    Respirer, humer, souffler, c’est être vivant …

  • Conclusion

    La respiration consciente fait partie des médecines traditionnelles, comme le yoga en médecine indienne ayurvédique, le Qi Gong en médecine chinoise, la méditation en médecine tibétaine ... 


    Les nombreuses découvertes neurophysiologiques récentes confirment l’ampleur des effets physiologiques de la respiration, et donnent à ces pratiques empiriques un nouveau souffle. La respiration consciente initie actuellement de nombreuses pratiques psycho-corporelles comme la relaxation, la sophrologie, l’hypnose et la méditation « pleine conscience », s’imposant comme une passerelle originale entre corps et esprit. 


    Les effets thérapeutiques de la respiration reçoivent désormais une attention scientifique particulière du point de vue de la médecine allopathique ... et cette médecine aussi dite « moderne » n’échappe pas à la corporéité spirituelle de la respiration : ... et sa voix qui chante prend appui sur le cadavre pour ne pas défaillir tout comme elle se dissocie du langage pour s’affermir, s’affranchit de la syntaxe terrestre pour aller se placer en ce lieu exact du cosmos où se croisent la vie et la mort : elle inspire et expire, inspire et expire, inspire et expire ... « Réparer les vivants » Maylis de Kérangal

MOTS-CLES

Respiration, médecine intégrative, neurophysiologie, émotion

BIBLIOGRAPHIE

1- Feldman JL et al. « Understanding the rhythm of breathing : so near, yet so far », Annu Rev Physiol. 2013 ;75 :423-52.

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3- Salesse R. et Gervais R. Odorat et goût, de la neurobiologie des sens chimiques aux applications, Editions Quaé

4- Laviolette L. Laveneziana P. « Dyspnea : a multidimensional and multidisciplinary approach », Eur Respir J. 2014 Jun ;43(6) :1750-62.

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7- Plotkine A. et al. « Sniffing enables communication and environmental control for the severely disabled », PNAS. 2010 ;107 :14413-14418

8- Kozhevnikov M. et al. « Neurocognitive and somatic components of temperature increases during g-Tummo meditation : legend and reality », PLOS ONE. 2013 ; 8 : 1-11

9- Hanish Dr (auteur) Bungé G. et C. (traducteurs) L’art de la respiration, Éditions Mazdéennes

10- Iyengar B.K.S. Pranayama Dipika, lumière sur le Pranayama, Editions Buchet Chastel

 

Texte extrait du livre « Soigner par les Pratiques PsychoCorporelles », sous la direction d’Isabelle Célestin-Lhopiteau, Dunod, Paris, 2015


Rédactrice de la page


Catherine BERNARD

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