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CARTOGRAPHIE MONDIALE DES INTERVENTIONS POUR AMELIORER LA QUALITE DE VIE GRACE AUX THERAPIES CORPS-ESPRIT AU COURS DE LA PERIODE 1990-2018

ARTICLE

Un article vietnamien publié en mars 2020 dans la revue Complementary Therapies in Medicine a cherché à répertorier les publications scientifiques internationales traitant de l’utilisation des thérapies psycho-corporelles dans le but d'améliorer la qualité de vie, et ce, depuis le début des années 90. Les auteurs ont effectué une recherche sur la base de données bibliographique Web of science. Cet article ici vulgarisé vise à exposer les tendances mondiales à ce sujet, et fait un point sur l'orientation de la recherche et les politiques.
 
La santé mentale et la santé physique sont intimement liées et entretiennent des interactions bi-directionnelles (Taylor et al., 2010). Les thérapies psycho-corporelles encouragent l’autonomie des personnes et favorisent la diversité des traitements qui peuvent être proposés dans un cadre thérapeutique, augmentant les chances d’une guérison complète (Ross, 2009). Déjà en 2002, une étude avait révélé que plus de 16% des américains faisaient appel aux thérapies psycho-corporelles en complément, la plupart du temps, d’une thérapie « standard » pour les douleurs chroniques, l’insomnie, l’anxiété et la dépression (Bertisch, 2009).
Plus tard, ces thérapies ont montré leur utilité chez les patients souffrant de cancer ou de sclérose en plaques (Gansler et al., 2008 ; Sewitch et al., 2011 ; Feinstein et al., 2014). Finalement, elles sont devenues populaires dans un certain nombre de conditions médicales, et notamment dans l’insuffisance cardiaque et la maladie de Parkinson.
Leur efficacité semble être éprouvée dans l’atténuation de la douleur, des symptômes anxieux et dépressifs, dans la réduction des rechutes dépressives et dans l’amélioration de la condition physique. Il est donc compréhensible qu’elles aient un impact favorable dans de nombreuses maladies, vu le caractère aspécifique et global de leur action.

De plus, des recherches ont voulu explorer la dimension « qualité de vie » des personnes ayant recours à ces thérapies psycho-corporelles. L’amélioration de la qualité de vie n’implique pas nécessairement une guérison, ou une disparition de symptômes, mais témoigne plutôt d’une adaptation, d’un processus de résilience ou d’acceptation. L’OMS a donné en 1994 la définition consensuelle suivante : « c’est la perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lequel il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il s’agit d’un vaste concept qui dépend de façon complexe de la santé physique, de l’état psychologique, du niveau d’indépendance, des relations sociales et de l’environnement de chaque personne ». Ainsi, étudier la qualité de vie est crucial pour appréhender la maladie d’une personne sur le plan psychologique, fonctionnel et social (et pas seulement sur le plan biologique) (Post, 2014).

De par leur caractère aspécifique et global, il se trouve que les thérapies psycho-corporelles que nous pouvons appeler « pratiques » dans un contexte de santé intégrative, ont un impact également sur le bien-être et la qualité de vie de personnes non malades. Des études chez le personnel soignant ont révélé un intérêt de ces pratiques dans le développement de compétences émotionnelles (stabilité émotionnelle, empathie), dans la prévention du burn-out, et ont également mis en évidence une amélioration de leur bien-être et de leurs performances professionnelles (Krasner et al., 2009 ; West et al., 2014). Face au stress chronique de certaines situations professionnelles, et à l’urgence de trouver des solutions à l’échelle sociétale, les pratiques psycho-corporelles ont généré un engouement certain. De plus, pour les maladies résistantes au traitement, comme certaines dépressions ou pathologies générant des douleurs chroniques, ces pratiques offrent un espoir de mieux-être qui mérite d’être poursuivi. Ainsi, la recherche du bien-être est devenue une priorité pour bon nombre de patients mais aussi de professionnels et de consommateurs, ce qui a motivé les Etats-Unis et institutions privées à investir beaucoup d’argent pour cette cause dès le début du XXIème siècle. Cela s’est traduit par une augmentation exponentielle des recherches et une meilleure compréhension des relations entre la santé, la psychologie individuelle et les émotions, grâce notamment aux avancées technologiques concomitantes (en imagerie mais également en génétique et épigénétique). Il existe cependant toujours d’importantes limites méthologiques pour parvenir à une « evidence based medicine » (médecine fondée sur les preuves) concernant une grande majorité des pratiques psycho-corporelles. Ces limites résident essentiellement dans l’hétérogénéité des pratiques testées dans les recherches, au niveau de la nature, de la manière de pratiquer et de la durée des interventions. Non seulement au sein d’un même corpus de pratiques, il se trouve une infinité d’autres pratiques (par exemple pour le yoga et la méditation), mais les pratiques utilisent des caractéristiques communes qui se recoupent (relaxation, concentration, mouvement par exemple). Ainsi, la prudence est de mise lorsque les pratiques sont analysées sous une rubrique générale. De plus, les études incluent souvent un faible nombre de participants, ne sont pas toujours transparentes sur le taux d’abandon ou les effets dits secondaires, et ne font pas le plus souvent de calculs statistiques suffisants concernant les effets attendus. Cela est préoccupant car les méta-analyses et les revues systématiques ont invariablement identifié un manque de puissance dans les essais.

En plus des avancées scientifiques parfois contestées sur le plan méthodologique, il n’est pas toujours simple d’introduire les pratiques psycho-corporelles dans un parcours de soin, notamment par manque de temps du personnel hospitalier et de l’absence de remboursement par les couvertures sociales, ce qui freine leur généralisation (McGuire, Gabison et Kligler, 2016).

Depuis le premier papier en 1991 sur l’utilité des thérapies psycho-corporelles pour améliorer le bien-être, 3905 autres articles sur ce thème ont été retrouvés sur la base de données Web of science jusqu’à la fin de l’année 2018 avec une augmentation graduelle au fur et à mesure du temps, particulièrement ces 5 à 10 dernières années. L'augmentation du nombre de publications a démontré l'intérêt croissant des universitaires et du public dans le domaine. Les pays les plus actifs en termes de fréquences de publication ont été principalement les États-Unis et l'Australie (1er et 2ème rang), suivis par l’Inde (3ème rang), tandis que la France n’a été placée qu’au 32ème rang, au même niveau que la Belgique et l’Uganda.

En analysant les résumés de ces études, quatre grands clusters de thèmes ont émergé, classés par ordre décroissant de co-occurrence : (i) application de la méditation de pleine conscience dans le traitement de la santé mentale (dépression) ; (ii) application de cette thérapie aux patients cancéreux ; (iii) utilisation de thérapies psycho-corporelles pour améliorer la qualité de vie des patients souffrant de troubles gastro-intestinaux ou après une chirurgie ; (iv) type de pratiques psycho-corporelles utilisées pour améliorer la qualité de vie, y compris le Tai-chi ou le Qi-gong.

Ainsi, la méditation de pleine conscience semble avoir été étudiée de manière prépondérante par rapport aux autres pratiques psycho-corporelles. Ce phénomène serait probablement accentué par l’existence de programmes standardisés de type MBSR ou MBCT qui facilitent la méthodologie des recherches. Les chercheurs se sont alors mis à observer des modifications au niveau des ondes cérébrales en EEG ou encore au niveau du taux de cortisol (expression du stress) ou du système immunitaire, et après un certain temps de pratique, des modifications de la morphologie de certaines zones cérébrales qui témoignent d’un phénomène d’apprentissage. Pourtant, les mécanismes d’action permettant d’expliquer ces phénomènes restent encore mal connus, ce qui met à frein supplémentaire à l’utilisation de ces pratiques de façon « officielle » dans le cadre du soin. De plus, les effets secondaires, comme une recrudescence d’anxiété, des symptômes psychotiques ou des blessures musculo-squelettiques (par exemple avec le yoga) ne sont que trop peu documentés. Leur utilisation a cependant explosé dans les maladies chroniques, probablement par l’absence de thérapeutiques alternatives.

CONCLUSION

Les pratiques psycho-corporelles se sont révélées prometteuses dans un large éventail de conditions médicales, non seulement en tant que thérapies complémentaires, mais également intégrées en tant qu'option dans les services de santé, en particulier pour les maladies chroniques. Leur popularité croissante et la reconnaissance des limites de la médecine allopathique dans l'amélioration de la qualité de vie exigent un effort concerté pour fournir des preuves de qualité.

Il serait intéressant de standardiser des programmes de pratiques psycho-corporelles (à l’instar des stages MBSR ou MBCT) afin de mieux les évaluer. Cela implique de déterminer les composantes de la pratique que l’on veut étudier, la durée, la fréquence de pratique et les mesures effectuées, avec un focus sur les effets indésirables ou secondaires. Tant que les pratiques ne seront pas étudiées de façon standardisées, il sera difficile de reproduire des résultats et d’avancer des hypothèses mécanistiques robustes. Pourtant, il semble que ce soit la condition sine qua none pour que ces pratiques s’intègrent au soin à l’échelle internationale.

REFERENCE DE L'ARTICLE

Tran, B. X., Harijanto, C., Vu, G. T., & Ho, R. C. (2020). Global Mapping of Interventions to improve Quality of Life using Mind-body therapies during 1990-2018. Complementary Therapies in Medicine, 102350.

 

Bibliographie citée dans l’article initial :

 

Bertisch, S. M., Wee, C. C., Phillips, R. S., & McCarthy, E. P. (2009). Alternative mind–body therapies used by adults with medical conditions. Journal of psychosomatic research, 66(6), 511-519.

 

Feinstein, A., Magalhaes, S., Richard, J. F., Audet, B., & Moore, C. (2014). The link between multiple sclerosis and depression. Nature Reviews Neurology, 10(9), 507.


Gansler, T., Kaw, C., Crammer, C., & Smith, T. (2008). A population‐based study of prevalence of complementary methods use by cancer survivors: A report from the American Cancer Society's studies of cancer survivors. Cancer, 113(5), 1048-1057.

 

Krasner, M. S., Epstein, R. M., Beckman, H., Suchman, A. L., Chapman, B., Mooney, C. J., & Quill, T. E. (2009). Association of an educational program in mindful communication with burnout, empathy, and attitudes among primary care physicians. Jama, 302(12), 1284-1293.

 

McGuire, C., Gabison, J., & Kligler, B. (2016). Facilitators and Barriers to the Integration of Mind–Body Medicine into Primary Care. The Journal of Alternative and Complementary Medicine, 22(6), 437-442.

 

Post, M. (2014). Definitions of quality of life: what has happened and how to move on. Topics in spinal cord injury rehabilitation, 20(3), 167-180.


Ross, C. L. (2009). Article Commentary: Integral Healthcare: The Benefits and Challenges of Integrating Complementary and Alternative Medicine with a Conventional Healthcare Practice. Integrative medicine insights, 4, IMI-S2239.


Sewitch, M. J., Yaffe, M., Maisonneuve, J., Prchal, J., & Ciampi, A. (2011). Use of complementary and alternative medicine by cancer patients at a Montreal hospital. Integrative cancer therapies, 10(4), 305-311.

 

Taylor, A. G., Goehler, L. E., Galper, D. I., Innes, K. E., & Bourguignon, C. (2010). Top-down and bottom-up mechanisms in mind-body medicine: development of an integrative framework for psychophysiological research. Explore, 6(1), 29-41.

 

West, C. P., Dyrbye, L. N., Rabatin, J. T., Call, T. G., Davidson, J. H., Multari, A., ... & Shanafelt, T. D. (2014). Intervention to promote physician well-being, job satisfaction, and professionalism: a randomized clinical trial. JAMA internal medicine, 174(4), 527-533.

Rédactrice de la page

Sophie Lavault
Docteur en neurosciences, Ingénieur de recherche en neurophysiologie respiratoire à l'hôpital Pitié Salpêtrière Charles Foix
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