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SOIGNER & PRÉVENIR




La méditation de pleine conscience : questionnements éthiques sur la pratique

LA MEDITATION DE PLEINE CONSCIENCE : QUESTIONNEMENTS ETHIQUES SUR LA PRATIQUE


INTRODUCTION

 « Les acteurs du bien-être sont assis sur une mer d'or, qui va continuer à gonfler dans les prochaines décennies », peut-on lire dans un article du Parisien quelques mois avant la crise sanitaire mondiale actuelle (Le Parisien, 2019). Depuis, le COVID-19 a apporté son lot de stress, majorant la prévalence et la gravité des troubles psychiatriques, tels que les troubles anxieux et la dépression (Leboyer & Pelissolo, 2020). Selon le Global Wellness Institute, le marché du bien-être pourrait augmenter progressivement de 5% par an d'ici 2025, soit deux fois plus vite que la croissance mondiale. L'utilisation d'applications numériques pour le développement du bien-être s'en retrouve multipliée, venant naturellement contre-balancer la peur, les inquiétudes et la fatigue chronique. Dans les milieux urbains, il devient difficile de prendre du temps à observer la nature, d'écouter ce que nous dit notre corps, de poser son téléphone pour vivre ou pour observer ce qu'il se passe autour de soi tant nous sommes happés par les activités quotidiennes et le souci de performance. Et au milieu de tout cela, nous sommes appelés à « être bien ». 


L'INJONCTION AU BIEN-ETRE

D'après Edgard Cabanas, l'happycratie désigne « l'injonction sociale et morale de rechercher à tout prix le bonheur personnel et la réalisation de soi dans toutes les sphères de notre vie, et ce par la consommation de « marchandises psychologiques » » (Cabanas & Illouz, 2018). Il semble qu'il y ait là une véritable course à la satisfaction, à la performance, et finalement…à la récompense. L'agenda se remplit de « to do list », comprenant la demi-heure de footing, l'heure de yoga ou encore les dix minutes de méditation journalières. Dans une grande majorité des cas, les activités bien-être prennent la place d'un créneau horaire à « placer » dans sa journée.

Quel type de bien-être est alors ici recherché ? Un bien-être éphémère ou un bien-être à plus long terme ? Le but est-il d'apaiser un stress ou de trouver des stratégies utiles au bien-être à plus long terme ? Il est probable que nous cherchions les deux, à ceci près que les moyens utilisés pour y arriver ne soient pas tout à fait les mêmes. Dans cette question hautement philosophique, un parallèle peut être fait avec la notion de bonheur, censé être stable et durable, et celle du plaisir, furtif et éphémère (Rousseau, 1948). A partir de là peut commencer notre regard critique sur notre « consommation bien-être ». 

Rechercher le bien-être sans changer son rapport au monde revient à trouver des remèdes ponctuels à nos maux. Une fois nos symptômes atténués, nous reprenons volontiers les mauvaises habitudes. Une autre manière de voir serait de chercher à modifier les causes du stress, plutôt que de le combattre. C'est ici que la méditation de pleine conscience trouve véritablement sa place. Dans le changement de regard, le changement de paradigme, dans la façon même d'appréhender les évènements de la vie.


Ainsi, l'injonction au bien-être peut devenir paradoxale si elle nous incite à utiliser les « circuits » de la récompense immédiate. Sur un versant neuroscientifique, le plaisir a un impact très important sur le système nerveux puisqu'il permet le relâchement des défenses, la diminution du stress, l'apaisement des tensions. Avoir du plaisir est donc très bon pour la santé ! Rechercher le bien-être en s'offrant des sources de plaisir est donc un atout pour s'épanouir. Cependant, le rechercher à tout prix, en évitant les difficultés, peut nous faire passer à côté de tout un versant de notre expérience, celui qui, à terme, nous permettrait de connaitre un apaisement durable. C'est ici que la méditation de pleine conscience trouve, sans doute, sa particularité. 

LA PRATIQUE DE LA PLEINE CONSCIENCE : UN PLAISIR IMMEDIAT ?

Pour être motivé à faire n'importe quelle activité, notre cerveau fonctionne selon les circuits de la récompense. Ainsi, nous avons besoin de buts, d'objectifs, qui, une fois atteints, ont un caractère potentiellement gratifiant (Lévy, 2004). Autrement dit, il est paradoxal pour le cerveau de pratiquer la méditation de pleine conscience « sans but », tel que nous l'apprenons. Pour nombre d'entre nous, la pratique de la méditation de pleine conscience est venue s'inscrire naturellement dans un courant d'injonction au bien-être, s'ajoutant aux multiples activités à programmer dans son planning. La volonté de pratiquer est souvent associée au fait de diminuer le stress, de mieux dormir, de moins manger, etc. 

Si nous attendons une récompense immédiate après une pratique de pleine conscience, le risque est de juger si la méditation a été bonne ou mauvaise selon le niveau de bien-être que nous avons ressenti (« ce n'était pas le bon moment », « le voisin faisait trop de bruit », « j'étais trop fatigué(e) », « trop stressé(e) »). En d'autres termes, nous nous interrogeons sur notre niveau de récompense immédiate, ce qui peut potentiellement nous faire manquer la cible : simplement être là.

Ainsi, il nous faut sans doute nous interroger sur la façon dont nous « consommons » les pratiques de pleine conscience. 


Le fondement même de la méditation de pleine conscience demeure de s'entrainer à vivre l'instant présent, sans jugement, et d'observer simplement ce qui émerge de ce nouveau rapport à soi et au monde. Or si on veut lâcher le jugement, il faut nécessairement lâcher le but. C'est la condition même de notre déconditionnement, celui qui ouvre la possibilité de sortir de nos automatismes. Il y a donc un paradoxe dans la façon que nous avons de présenter la méditation : une pratique de bien-être. En réalité, le bien-être est une conséquence tout à fait indirecte due à l'entrainement à la pleine conscience, mais il ne peut pas en constituer le but, au risque d'une instrumentalisation, éventuellement contre-productive. 

LES EFFETS SECONDAIRES DE LA PLEINE CONSCIENCE

La pratique de la méditation de pleine conscience modifie le rapport que l'on a à soi et au monde. Ainsi, elle peut provoquer des modifications dans nos perceptions sensorielles, dans notre manière d'interpréter les choses ou les évènements, ou encore dans notre manière d'interagir avec les autres. Tous ces changements peuvent impacter les grandes décisions de notre existence, notre comportement et notre rapport à la santé ou la maladie.

Jusqu'en 2015, la littérature scientifique ne s'intéressait pas aux effets secondaires, notamment parce que les chercheurs qui publiaient étaient concentrés sur la démonstration des multiples bénéfices sur le plan médical et psychologique. Ils ne cherchaient pas à s'interroger sur les risques de la pratique. 

Pourtant, se retrouver face à soi-même, à ses contradictions, à sa profonde tristesse ou à sa grande colère peut parfois être tellement anxiogène que l'on développe beaucoup de stratégies pour éviter de s'y confronter. Ce sont ce que l'on appelle des « mécanismes de défenses » (Chabrol & Callahan, 2018). Lorsque l'on médite, on permet que ces stratégies s'interrompent l'espace d'un instant, laissant les difficultés se présenter à nous, telles qu'elles sont. Selon notre état émotionnel et nos fragilités psychiques à ce moment-là, notre système nerveux peut se retrouver dans un état de stress insurmontable. L'augmentation de la conscience de soi peut ainsi être source d'anxiété, de panique, ou être à l'origine de flash backs ou de résurgences traumatiques (Britton et al., 2021). Les mécanismes de décentration, qui font appel à la métacognition, comme prendre de la distance par rapport à une expérience, peuvent aussi être associés à une sensation de dépersonnalisation, d'émoussement affectif ou de dissociation (Britton, 2019). 

Selon la façon dont les études évaluent la présence d'effets secondaires, la fréquence est très variable : de moins d'1% à 73% des personnes ayant expérimenté au moins une expérience désagréable ou une augmentation de leurs symptômes. Les effets secondaires indésirables et les risques liés à la pratique de la pleine conscience ont été à ce jour documentés dans plus de 40 rapports scientifiques (Britton et al., 2021). Ils sont en réalité comparables à ce qui est observé lors de l'utilisation d'autres pratiques de soin psychologique. 


Ainsi, il est parfois nécessaire d'être accompagné sur le plan médical ou thérapeutique pour démarrer la pratique. Les applications numériques « bien-être » devraient dans ce cas venir en complément, et non en première intention. Il semble particulièrement important d'évaluer au préalable l'état dépressif ou anxieux des personnes qui souhaitent pratiquer, afin de favoriser un impact bénéfique. C'est tout l'enjeu des pratiques de groupe avec un référent instructeur ou enseignant qui reste vigilant à tout ce qui peut se déployer pendant ou entre les séances.

DE L'INSTRUMENTALISATION A L'INCARNATION : UNE QUESTION D'ETHIQUE

Bloquer momentanément le processus mental. Arrêter l'espace d'un instant les automatismes salvateurs à court terme et pourtant délétères à long terme. C'est sans doute cela le plus difficile : passer de l'hédonisme à l'eudémonisme. 

Si nous méditons pour être bien, nous emprunterons les chemins de pensées habituels visant à rationnaliser, pour retrouver le plus vite possible un état de relaxation. Nous entrainons alors notre corps et notre esprit à se relaxer, laissant nos mécanismes de défense reprendre le dessus si nécessaire, pour nous protéger d'un « face à face » trop difficile. La méditation devient alors un moyen, un instrument, un outil, de la même manière que nous pouvons utiliser un exercice de respiration ou de relaxation.

 Si nous méditons pour nous rencontrer nous-même dans l'instant, nous accepterons la vie qui se déploie dans tous ses états, et alors nous passons au stade de l'incarnation. Accepter de se laisser traverser par la peur du danger, par l'angoisse du vide, par l'infinie tristesse de la perte d'un être cher n'est bien sûr pas anodin. Et cela nécessite souvent le soutien d'un spécialiste, thérapeute ou médecin. Mais ce que nous apprend la pratique de la pleine conscience, c'est que cela conditionne le fait de pouvoir apprécier les émotions opposées, pleinement et complètement, comme la joie ou la gratitude. Apprendre à traverser les tempêtes nous apprend à apprécier le calme. Si c'est cela que nous venons chercher en pratiquant la méditation de pleine conscience, alors il devient important de redéfinir nos objectifs, et la façon dont nous cherchons à les atteindre pour ne pas passer à côté du cœur de la pratique. 


Accepter de se laisser traverser par des émotions difficiles sans y réagir sont autant d'occasions de trouver des ressources pour affronter les difficultés de l'existence. Ces expériences ont un réel caractère initiatique. C'est sans doute pour cela qu'il semble difficile de faire de la méditation une pratique laïque, dénuée de tout sens philosophique ou religieux, car elle peut irrémédiablement s'inscrire dans de nombreux courants de pensée, dont celui du bouddhisme, mais aussi du christianisme. C'est pourtant ce que la science tente de démontrer : la pratique de la pleine conscience fait appel à un fonctionnement inhérent au cerveau, indépendamment de toute croyance. Le sens que l'on alloue à la pratique reste donc un questionnement personnel, fondamentalement éthique, que chacun est libre de se poser. 

BIBLIOGRAPHIE

Britton, W. B. (2019). Can mindfulness be too much of a good thing? The value of a middle way. Current Opinion in Psychology, 28, 159-165.


Britton, W. B., Lindahl, J. R., Cooper, D. J., Canby, N. K., & Palitsky, R. (2021). Defining and measuring meditation-related adverse effects in mindfulness-based programs. Clinical Psychological Science, 2167702621996340.


Cabanas, E., & Illouz, E. H. (2018). Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies. Paris: éditions Premier Parallèle.


Chabrol, H., & Callahan, S. (2018). Mécanismes de défense et coping-3e éd. Dunod.

Le Parisien, (2019, 17 janvier). Le bien-être, une mine d’or. leparisien.fr. https://www.leparisien.fr/laparisienne/actualites/le-bien-etre-une-mine-d-or-17-01-2019-7991055.php 

Leboyer, M., & Pelissolo, A. (2020, September). Les conséquences psychiatriques du Covid-19 sont devant nous…. In Annales Medico-Psychologiques (Vol. 178, No. 7, p. 669). Elsevier.


Lévy, R. (2004). Le réseau neural de la motivation chez l’homme. Psychologie & NeuroPsychiatrie du vieillissement, 2(4), 241-255.


Rousseau, J. J. (1948). Les rêveries du promeneur solitaire (Vol. 43). Librairie Droz.


Rédactrice de la page


Dr Sophie Lavault

Docteur en neurosciences, Ingénieur de recherche en neurophysiologie respiratoire à l'hôpital Pitié Salpêtrière Charles Foix

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